Ulysse. Monument partout célébré, souvent cité, plus rarement lu. Le seul moyen d’échapper à ces commémorations paradoxales, c’était de retourner le lire, modestement, de revenir à sa lettre et d’entendre ce qu’il dit. Le lire, d’abord, le faire lire en public, et en débattre ensuite avec ceux qui voulaient bien tenter l’expérience directe de cette lecture.
Mais le hasard revêt aussi parfois les traits de la bonne fortune… Quelques jours auparavant, une nouvelle traduction d’Ulysse est parue chez Gallimard, saluée par toute la critique – et l'un des co-auteurs de la nouvelle édition a spontanément et généreusement accepté de venir la présenter à St Gérand le Puy.
C’est ainsi que Pascal Bataillard, professeur à l’université de Lyon II, et co-auteur de la nouvelle édition, a offert à un large public d’amateurs de Joyce une conférence passionnante sur les problèmes posés par la traduction de l’ouvrage.
C’est le destin des traductions : contrairement au texte original, elles vieillissent… Malgré les qualités incontestables de celle d'Auguste Morel, qui fut supervisée par valery larbaud et qui date de 1929, elle reste solidaire d’un esprit du temps et reflète des manières de parler tombées en désuétude, manières dont Pascal Bataillard n’a pas eu de peine à montrer, en s’appuyant sur des exemples précis, qu’elles finissent par masquer au lecteur d’aujourd’hui ce que le texte original comporte de percutant, de drôle ou d’impertinent. L’usure du temps rendait nécessaire une tentative nouvelle.
De là l’idée d’une nouvelle traduction, collective cette fois, dirigée par Jacques Aubert et confiée à une équipe de huit traducteurs, composée d’universitaires spécialistes de l’œuvre, mais aussi d’écrivains, chacun assumant la responsabilité de la traduction de certains des 18 épisodes d’Ulysse.
En présentant ce projet et les étapes de sa réalisation, Pascal Bataillard a exposé et justifié les choix fondamentaux qui ont présidé à l’entreprise. En particulier la volonté délibérée de partir et de rester au plus près de la lettre du texte, des sensations ou émotions qu’elle suscite dans le corps même des phrases, par le jeu des registres de langue utilisés, de la syntaxe, des mots-valises, des allitérations, du phrasé musical des voix, des timbres et des rythmes… C’est le moyen privilégié pour offrir ce que Joyce attendait de ses lecteurs : des parcours intérieurs et des cheminements ouverts à un plaisir et à une jouissance du texte. Leur permettre de participer activement à cette expérience, en tirant le meilleur parti de ce que la langue française peut offrir, sans privilégier la haute culture au détriment de la langue de tous les jours
En illustrant son propos par des passages empruntés à la nouvelle traduction, Pascal Bataillard a apporté la preuve concrète du bonheur que procure cette version, qui bouscule la légende tenace qui veut que le livre soit illisible et tombe des mains. Non, la lecture d’Ulysse n’est pas nécessairement aride, elle peut être jubilatoire. Remercions-le d’en avoir fait, sur le texte même, une éclatante démonstration.
Gérard Colonna d'Istria