* a nickel tinderbox (285), sprang it open too, and, having lit his cigarette, held the flaming spunk
** […] un briquet de nickel, en fit de même jouer le ressort, et après avoir allumé sa cigarette, tendit  l’amadou flambant..
*** […] un briquet à amadou en nickel, l’ouvrit également d’un coup de pouce puis, ayant allumé sa cigarette, tendit l’amadou enflammé
**** […] une boîte à amadou en nickel, l’ouvrit également d’un coup de pouce puis, ayant allumé sa cigarette, tendit l’amadou incandescent
Tinder et spunk désignent l’amadou, substance tirée d’un champignon et qui s’embrase facilement à condition de l’amadouer avec du salpêtre. À la fin du XIXe siècle, l’amadou a été remplacé par des mèches de coton imprégné d’une solution chimique produisant le même effet. Cependant, contrairement au verbe que Joyce utilise (to flame), il convient de ne pas le laisser trop s’enflammer et d’éteindre la flamme pour qu’il se consume lentement et permette d’allumer une cigarette à son contact. Plutôt que flambant ou  enflammé, il vaut donc mieux dire incandescent. Par ailleurs, initialement, avant l’invention du briquet à mèche de coton (lighter) représenté ci-contre en bas, l’amadou était placé dans une boîte (box), tels les deux modèles ci-contre.
Dans le même registre de dérision joycienne à l'égard de la religion, on trouve ces deux quatrains :
 
* If anyone thinks that I amn’t divine /  He’ll get no free drinks when I’m making the wine
But have to drink water and wish it were plain  /  That I make when the wine becomes water again.
** Si quelqu’un s’imagin’ que je n’suis pas divin,  /  I’ n’ boira pas à l’œil quand je ferai du vin,
Mais devra boir’ de l’eau et la voudrait bien claire  /  Alors qu’avec du vin j’irai de l’eau refaire.
***  S’il y en a un qui pense que je suis pas divin  / Y boira pas à l’œil quand je ferai du vin,
Mais de l’eau ce sera, et là j’insiste bien :  / C’est c’que j’fais quand le vin de l’eau claire redevient.
**** Si quelqu’un pense que je suis pas divin,  /  Y boira pas à l’œil quand j’ferai du vin,
Mais devra boire de l’eau et l’aimerait mousse :  /  Ce que je fais quand le vin en eau éclabousse.
 
Pour les besoins de la rime, les seconds traducteurs s’écartent notablement de la formulation joycienne. Plain water, c’est de l’eau plate, mais pourquoi, privé de vin, le mécréant voudrait-il boire de l’eau bien claire ou plate ? Joyce a plutôt voulu jouer sur l’expression a stout of plain, qui désigne une pinte de bière (une mousse), et sur to make water (faire de l’eau, c’est-à-dire uriner). Auquel cas, la punition du mécréant devient plus logique : alors qu’il voudrait une mousse, il ne peut espérer récolter autre chose que de l’urine !…
 
* Goodbye, now, goodbye. Write down all I said /  And tell Tom, Dick and Harry I rose from the dead.  What’s bred in the bone cannot fail me to fly  /  And Olivet’s breezy... Goodbye, now, goodbye.
** Adieu, adieu. Tous mes discours, qu’on les écrive !  /  Dites à Pierre et Paul que j’ai vaincu la mort.
Le dieu en moi ne peut faillir à mon essor,  /  Adieu… Ça souffle fort sur le mont des Olives.
*** Adieu, adieu ! Notez le moment et le lieu  /  Et dites à Pierre, Paul et Jacques ma résurrection.
Mes gènes, n’en doutez pas, vont aider l’ascension.  /  Ça souffle fort aux Oliviers. Adieu, adieu !
**** Adieu, maintenant, adieu ! Notez toutes mes paroles,  / Et, que je me suis relevé de la mort, dites-le à Thomas et Matthieu.  / Ce qui a crû dans mes os ne peut faire échouer mon envol  /  Et ça souffle fort aux Oliviers. Adieu, maintenant, adieu !
 
Ici, les deux traductions ont omis le now séparant les deux goodbye. Ensuite, elles ont rendu les trois prénoms par ceux de deux ou trois apôtres sans se soucier de respecter une correspondance, alors que celui de Tom avait un équivalent strict. Surtout, toujours obnubilés par la rime, les deux traductions s’écartent beaucoup du mot à mot, tordant mots et phrases, allant même au-delà du sens obvie et interprétant des mots (tel fly en Ascension) ou des expressions (tels bred in the bone changé en le dieu en moi ou Write down all I said en Notez le moment et le lieu).
* For this, O dearly beloved (16), is the genuine Christine : body and soul and blood and ouns.
** Car ceci, ô mes bien-aimés, est la fin-fine Eucharistie : corps et âme, sambieu.
*** Car ceci, ô mes bienaimés, est l’authentique Christine : corps et sang et âme et tout le pataquès.
**** Car ceci, ô mes bien-aimés, est l’authentique Eucharistine : corps et âme et sang et tout le saint-frusquin.
 
Version féminine de Christ, Christine est l’une des énigmes proposées par Joyce à ses lecteurs et traducteurs. Et aucune des deux traductions n’est éclairante : la seconde nous laisse prudemment face à l’énigme, tandis que l’on s’interroge sur la validité de « la fin-fine » de la première. De toute évidence, l’auteur parodie la cérémonie de l’Eucharistie, d’où le jeu de mots que je propose, lequel présente de surcroît l’avantage de faire écho à Eucharis, l’amoureuse de Télémaque.
Un pataquès est une liaison vicieuse (« je ne sais pas-t-à qui est-ce »), une gaffe grossière. Rien à voir donc avec la parodie blasphématoire de Mulligan. Mieux vaut donc parler de tout le saint-frusquin pour traduire ouns, absent de tous mes dictionnaires.
De même, un peu plus loin, Joyce utilise le nom de Janey Mack, que n’explicite aucune note des seconds traducteurs. Il s'agit d'un nom irlandais utilisé pour ne pas prononcer “en vain” (comme dit la Bible) celui de Jésus-Christ. En ce sens, leur putain est par trop profane, alors que les premiers s’en rapprochent avec sapristoche, atténuation de sapristi. Je choisis son équivalent sacristi, même si ce mot dérive de sacré et non de Christ.
Dans L'avenir de la science, Ernest Renan écrit : « Certes, la subtilité n’est pas le vrai. Mieux vaut pourtant être ridicule que vulgaire, et c’est un moyen trop commode pour échapper au ridicule que de se réfugier dans la banalité. » Nous tâcherons d'éviter ces écueils.
Avec sa coutumière maestria, Gérard Colonna d'Istria s'est penché sur les problèmes que pose la traduction (lire ici et là). Je me suis frotté concrètement à ces problèmes
(lire ici) en ce qui concerne l'allitération (lire là) mais aussi en bien d'autres occurrences, dont celles ci-dessous, évoquées dans le diaporama présenté
lors du Jour d'Ulysse 2014.
De quelques subtilités & divergences notables
par Alain Daudier
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Mise à jour le
26 MAI 2023
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