LES PRÉMISSES.– Dès le mois de mai 1950, Maria Jolas avait livré son très précieux témoignage Joyce en 1939-1940, dans la revue Le Mercure de France. Puis la grande biographie de Richard Ellmann, qui consacre une place importante au séjour de Joyce à Saint-Gérand-le-Puy, est parue en 1959 pour l’édition anglaise et en 1962 pour la première traduction de l‘ouvrage en français.
Pourtant, c’est grâce à la seule persévérance de madame Bernard (auteur du portrait de “l'artiste” accroché au mur de la salle de la mairie), que l’on doit la redécouverte de la présence de Joyce à Saint-Gérand-le-Puy. De retour d’un voyage en Irlande, elle a l’idée de téléphoner au petit-fils de l'écrivain, Stephen, alors haut fonctionnaire à l’OCDE et qui – à son grand étonnement – accepte de la rencontrer et de parler avec elle de ce séjour.
2 février 1986.– De retour au village, elle convainc la municipalité (dont le maire était alors Louis Bardet) d’apposer — avec l’accord de Steven Joyce — une plaque commémorative (dont le contenu a été rédigé par Jacques Aubert) sur le dernier lieu de séjour de l'écrivain à Saint-Gérand-le-Puy, la maison Ponthenier. C’est chose faite le 2 février 1986, date choisie par Steven puisque jour anniversaire de la naissance de Joyce. C'est le point de départ de la reconnaissance du séjour de Joyce à Saint-Gérand-le-Puy.
30 mai 1987.– C'est l'inauguration du square James-Joyce, deuxième manifestation de la reconnaissance de l’écrivain irlandais, événement qui fera dire à Steven Joyce que « Saint-Gérand-le-Puy a deux longueurs d’avance sur Paris ».
Printemps 1994.– À l’initiative du maire actuel, Xavier Cadoret, qui est aussi professeur d‘économie au lycée de Vichy-Cusset, un espace socioculturel James-Joyce est ouvert, comprenant le parc, une salle socioculturelle et le Musée Joyce, où sont exposés dessins, photos et documents, ainsi qu'un travail effectué en vidéo par un groupe d’élèves de BTS Communication du lycée de Vichy (recueil de nombreux témoignages de personnes ayant eu l’occasion d’approcher Joyce pendant cette période, vidéo toujours visible aux archives du Musée). Par ailleurs, un logo Joyce en Bourbonnais est créé, qui est désormais protégé par un copyright (confer le dessin dans la colonne ci-contre). L'inauguration se fait en grande pompe en présence de Steven Joyce, de l’ambassadeur d’Irlande, de Jacques Aubert, du sous-préfet, etc. Le séjour de Joyce à Saint-Gérand-le-Puy est maintenant connu et il fait l’objet d’articles dans les journaux parisiens, tel le long reportage, très documenté, de Jean-Pierre Barou, envoyé spécial du Monde, publié en août 1994 et intitulé Joyce, l’année de la zone libre (le texte figure dans la bibliothèque Anna-Livia–Plurabelle de l'espace Joyce).
2003 – 2006.– À partir de 2003, un petit groupe, informel, de personnes, passionnés ou amateurs de l’œuvre de Joyce, se constitue à l’initiative du maire de Saint-Gérand, Xavier Cadoret, et de l’Office du Tourisme de Varennes. Partant de l’idée que l’œuvre de Joyce – et d’abord Ulysse – est un monument partout célébré, souvent cité, mais plus rarement lu, il se fixe comme tâches prioritaires (plutôt que de sombrer dans une quelconque commémoration folklorique, fût-elle irlandaise !) de :
1) Lire et de faire lire l’œuvre de Joyce.– Les moyens dont dispose le petit village ou l’Office du Tourisme sont très modestes, mais le groupe peut compter sur l'aide précieuse de Jacques Aubert et de la générosité des conférenciers, tels Pascal Bataillard et Annie Tardits, invités à venir parler de Joyce à l'occasion de deux journées. Dans l’esprit des organisateurs, ces journées — d'abord baptisées, comme à Dublin, Bloomsday (Jour de Bloom, le héros d'Ulysse) et plus tard Jour d’Ulysse, titre suggéré par Steven Joyce — devaient se proposer d’offrir au public tout ce qu’un modeste village bourbonnais, qui eut l’insigne honneur d’accueillir l'un des plus grands écrivains du XX° siècle, peut offrir pour que son œuvre soit mieux connue.
Donner le goût de la lire, et pour cela faire d’abord entendre sa voix et toutes les voix qui résonnent dans ses textes. Faire retour à cette exigence élémentaire. Éviter ces dérives dans lesquelles les commémorations se perdent en vains bavardages ou en fêtes foraines. Mobiliser la bonne volonté des meilleurs spécialistes et les inviter à venir parler de l’œuvre. Car tout le monde parle d’Ulysse, ou de Finnegans Wake d’un air entendu, mais qui les a vraiment lus ?
Et on ne lit pas qu’avec les yeux. Il faut aussi se mettre à l’écoute. Prêter l’oreille à la musique, au chant, aux voix, à leurs timbres, à leurs affects, à toute cette part d’émotion que comporte le corps charnel de la parole dans l’écriture, tout ce qui fait le style d’un grand écrivain. Quand on sait l’importance que Joyce accordait à la musique et au chant, on comprend aisément que savoir écouter, c’est aussi savoir lire.
S’il est essentiel d’entendre dire ce qu’on lit, il fallait donner au public l’occasion d’entendre les textes et leur charge poétique sur un mode théâtral, et se tourner vers le chant et la musique des compositeurs qui se réclament ou s’inspirent de Joyce.
2) Aménager, pour le long terme, un espace de lecture et de recherche à Saint-Gérand-le-Puy, sous la forme d’une bibliothèque entièrement consacrée à l’œuvre de Joyce et qui garde la trace des conférences et des travaux effectués. C’est chose faite depuis l’an dernier, grâce en particulier à Stephen Joyce et à son épouse, qui ont accepté d’honorer de leur présence la journée du 18 juin, et d’inaugurer la bibliothèque — qu’ils avaient suggéré de nommer Anna-Livia–Plurabelle, du nom de l’héroïne de Finnegans Wake — et qui ont fait don, en guise de cadeau de baptême, de nombreux ouvrages de Joyce, publiés dans toutes les langues. C’était, tout le monde le comprend, donner, par leur seule présence, un gage de reconnaissance sans prix pour le village de Saint-Gérand-le-Puy.
Gérard Colonna d'Istria